Margaretta Jolly, In Love and Struggle, New York, Columbia University Press, 2008, 247p.

Margaretta Jolly, In Love and Struggle, New York, Columbia University Press, 2008, 247p.

In Love and Struggle propose une étude approfondie de la seconde vague du féminisme anglo-saxon des années 1970-1980. L’ouvrage est très informé et s’appuie sur de nombreuses lettres personnelles de femmes « ordinaires », ainsi que sur des lettres ouvertes et quelques fictions épistolaires, telles que La Couleur pourpre d’Alice Walker. La bibliographie de 25 pages est très fournie ; on y trouve des références françaises, à Bernard Bray et Laurent Versini notamment. Le livre se révèle très personnel, parfois inspiré de la propre vie de Margaretta Jolly. L’aspect autobiographique de certaines anecdotes ou réflexions sert l’analyse, mais révèle surtout la dimension très orientée d’un ouvrage qui séduira peut-être davantage les lectrices engagées.

L’auteur explore le rôle de l’écriture épistolaire dans la constitution du mouvement féministe des années 1970-1980 aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. L’émancipation des femmes semble être ainsi passée par l’utilisation d’une écriture considérée par ailleurs comme typiquement féminine. Dans cette perspective, M. Jolly montre comment les lettres ont permis la circulation des idées et ont contribué à resserrer les liens entre militantes. Le titre de l’ouvrage qui articule « amour » et « lutte » (« love » et « struggle ») prend alors pleinement son sens. Plusieurs exemples historiques viennent illustrer le propos, parmi lesquels deux communautés pacifistes de femmes unies contre la société patriarcale et le développement du nucléaire au début des années 1980 : « Greenham Common Women’s Peace Camp » et « Seneca Women’s Peace Encampment ». Ainsi, l’étude se présente souvent comme une analyse sociologique plus que littéraire. De ce fait, cet ouvrage prendra pleinement sa place dans ce que l’on appelle aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne les « cultural studies » ou « gender studies ».

L’analyse progresse autour du concept d’ « éthique », en particulier de « care » qui symbolise les rapports étroits d’amitié, de protection et d’amour entre les femmes. Margaretta Jolly est amenée à aborder la question de l’émergence, ou de l’affirmation, de l’homosexualité féminine à cette époque dans son lien au combat politique. Elle prend ici appui sur sa propre expérience. En conséquence, outre les correspondances mères-filles et les échanges épistolaires d’activistes féministes, elle traite également des lettres d’amour entre femmes qu’elle puise au cours de ses recherches dans « Lesbian Herstory Archives ». Elle analyse très bien l’ambivalence de cette relation d’amour et de réciprocité en montrant comment le mouvement féministe repose sur un idéal d’autonomie et d’indépendance. Dès lors, il est partagé entre individualisme et échange que la dualité de la lettre reflète selon elle. Ainsi s’expliquent en partie les dissensions qui s’esquissent au sein du mouvement féministe et qui permettront de comprendre son relatif déclin par la suite.

De ces réseaux épistolaires que M. Jolly qualifie de « web » (« toile »), elle aborde la question récente du « world wide web » (www), c’est-à-dire de la place des e-mails dans la sociabilité d’aujourd’hui. L’étude se clôt sur une analyse intéressante des questions éthiques qui entourent la publication de lettres d’anonymes, surtout quand elles mettent en jeu des histoires d’amour, de désir ou de rupture. Se pose alors le problème de la conservation des textes épistolaires ou de leur destruction, de l’accès à la sphère publique et de la confidentialité. En conclusion, cet ouvrage propose des analyses pertinentes sur l’écriture épistolaire et sa place dans le développement du mouvement féministe des trente dernières années. Il s’interroge sur le contexte socio-culturel autour de la rédaction des lettres et, de ce fait, ravira plutôt ceux qui s’intéressent à l’histoire et à la société anglo-saxonne.

Nadège Lerouge-Corlosquet