Parole, personnage et sujet dans les récits littéraires de Benjamin Constant

Anne Boutin – Parole, personnage et sujet dans les récits littéraires de Benjamin Constant, préface de Gérard Gengembre, Genève, Slatkine, 2008, 592 p.

 

Même si les principaux critiques de Benjamin Constant ont reconnu l’importance de la parole dans ses récits littéraires (Amélie et Germaine, Cécile, Ma vie et Adolphe), ils ont surtout mis en évidence les échecs et les malentendus inhérents à toute communication verbale. Au-delà de ces constatations, il restait à montrer que les récits constantiens donnent à voir et à comprendre l’intérêt que cet écrivain nourrissait pour la parole, tout particulièrement pour la parole privée – celle qu’il a choisi de mettre en scène dans ces quatre œuvres, qui acquièrent, grâce à cette spécificité, une manière d’unité. Cette parole intime, aux antipodes de la parole publique, s’offre comme un champ d’investigation illimité tant le locuteur est alors impliqué dans sa pratique verbale. Les introspections des narrateurs-personnages constantiens font naître la peinture d’un sujet moderne, fragilisé dans sa vie personnelle et peu engagé dans la vie sociale, mais elles offrent surtout en creux un vaste panorama des ressources de la parole. Ces récits, qui accordent une attention tout à fait signifiante à l’écriture de la parole, mais qui échappent à toute classification générique, parviennent à mimer les incertitudes de leur narrateur-personnage tout en révélant que c’est par la parole, originale et singulière, que le sujet s’individualise – expérience rendue souvent difficile à cause de la langue conventionnelle dont usent ceux que l’on rencontre dans les lieux de sociabilité, en ce XIXème siècle naissant. Ces récits littéraires révèlent le caractère essentiel de la parole dans les relations interpersonnelles, en présentant des expériences de communication multiples et variées, par exemple des échanges épistolaires, au rôle souvent déterminant dans le déroulement des intrigues. La lettre s’inscrit parfois dans une stratégie pour agir sur autrui, mais elle permet aussi d’exprimer des désirs et des pensées, elle devient alors un substitut des conversations ratées ou ajournées, mettant en évidence les faiblesses du sujet parlant, notamment ses contradictions et ses incohérences. Il arrive que l’écriture épistolaire soit convoquée dans ces textes pour ajouter un signe d’authenticité au développement des péripéties, en effet, elle appartient à un genre qui, à l’origine, n’était pas fictionnel. La présence de ces diverses lettres suscite également une réflexion plus générale sur l’écriture, qui ajoute à l’intérêt de ces œuvres : la communication épistolaire met en scène des scripteurs, des destinataires et, bien sûr, des textes – chacun des épistoliers ayant le devoir d’être un bon écrivain, mais aussi un bon lecteur. En outre, les récits constantiens utilisent les ressources de l’épistolarité, qu’il est possible de mettre au service de l’écriture lorsqu’elle se fait plus fictionnelle : la lettre peut venir combler des ellipses narratives et prendre ainsi la forme d’explications, d’invitations ou encore de déclarations, elle entre aussi parfois dans un jeu polyphonique, par exemple dans Adolphe, où nous découvrons un enchâssement du récit entre des lettres – enchâssement qui offre à l’œuvre une esthétisation de sa présentation. Le surgissement de toutes ces lettres confirme l’intérêt que Benjamin Constant éprouvait pour l’écriture épistolaire – intérêt que donne à lire aussi l’importante correspondance que cet écrivain a laissée à sa postérité.