Tes seins sont les seuls obus que j’aime – Lettres à Madeleine

Guillaume Apollinaire « Tes seins sont les seuls obus que j’aime » Lettres à Madeleine

Spectacle conçu, construit et joué par Danielle Catala, du 19 juin au 18 juillet 2007

A la Cave Poésie de Toulouse, 71 rue du Taur, métro Capitole.

Ce spectacle sera rejoué – voir au bas de cette page

Lettres érotiques et sauvages

1915-1916

Sur le front, Apollinaire échange avec Madeleine, une jeune agrégée de lettres rencontrée dans le train lors d’une permission, une riche correspondance. Les Chants érotiques pour Madeleine surgissent soudain des horreurs de la guerre…

« Hier vers 4 heures, une action s’est déchaînée, c’était fantastique et effrayant. Le théâtre ne peut donner une idée du bombardement effroyable qui empourpre soudain le ciel, du sifflement des obus… de l’éclatement déchirant des bombes et des torpilles, du crépitement insensé de la fusillade dominé par le tac tac tout proche de la mitrailleuse. »

« Ma chère perfection je mordille tout ton corps… je fouille de ma langue la conque rose du nombril, l’entre-deux des seins, la fraise des seins, ton cou exquis l’oreille la bouche et le parvis je le mordille et m’étendant sur toi j’écarte les lèvres exquises de la blessure adorée… la volupté s’éveille en toi par mon va-et-vient tu y participes par le jeu lascif de tes hanches, pour ici que nos bouches unies s’aspirent à en mourir et que nos yeux échangent leurs âmes. »

La mise en scène suffisamment suggestive de ce texte nous place au cœur de la tranchée, du boyau sombre répété ici par la voûte du lieu (la mythique « Cave poésie » toulousaine, bien connue des amoureux des mots), et donne à voir, à entendre, au sein d’un champ sonore très travaillé, dû à Christophe Barrière (bruits d’explosions, grincements et harmonies diverses), la voix lyrique d’Apollinaire sous celle de Danielle Catala, l’égérie du lieu – une voix veloutée, patinée, discrètement rauque. Précisément, la personnalité presque androgyne de la comédienne sert à merveille un texte masculin soumis à une passion de circonstance, et superpose admirablement aux accents mâles du destinateur la douceur énamourée d’une voix qu’on devine en sourdine, celle de la destinataire lisant, se répétant pour elle-même les poèmes en prose, en vers, à elle adressés. L’érotisme est palpable, et ce d’autant plus que le poète, alerté par un climat de plus en plus dramatique, croit darder dans ces lettres ses derniers feux, et y fourbit son testament littéraire. Madeleine, pressentie comme son exécutrice testamentaire, est sommée de recopier tous les textes reçus. Ceux-ci, embrasés par une relation amoureuse quasi fictionnelle, s’enlisent parfois dans un lyrisme douteux, inspiré d’un blason burlesque (seins-obus, jambes-arc de triomphe…), expressions dérisoires compte tenu de ce que nous savons de l’issue fatale du conflit, mais aussi du sort du poète, blessé à la tête au printemps 1917 et rapidement évacué vers l’arrière. Nous parlions « d’érotisme guerrier », dans une précédente étude sur cette correspondance d’exception1. Ici, on pourrait même le qualifier tendrement de « pompier ».

Avec délicatesse, Danielle Catala évacue, dans le montage des textes, la mention de la seconde rencontre entre les amoureux, lors d’une permission de Guillaume à Oran, où demeure alors Madeleine. Le contraste entre le délire fantasmatique contenu dans le projet poético-épistolaire, et une réalité bien plus prosaïque (Madeleine, jeune bourgeoise de province, vit chez ses parents d’une existence rangée), devait détruire progressivement l’intensité du lien, et aurait nui à l’unité du spectacle. Guillaume Apollinaire rentre à Paris sans donner suite à ses projets matrimoniaux enflammés, puis décède deux ans plus tard, en 1918, sans avoir revu Madeleine.

Odile Richard-Pauchet

Nous rendons hommage à cette occasion au créateur de la Cave Poésie, René Gouzenne, disparu cet été.

1 Voir notre compte rendu de la réédition de ce texte, Lettres à Madeleine, Tendre comme le souvenir, édition revue et augmentée par Laurence Campa, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 2005, 467 p. , dans la Revue de l’AIRE, Recherches sur l’Epistolaire, n°31, 2005, p. 297-301.

Au Théâtre de Poche 10 rue d’El Alamein Faubourg Bonnefoy

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Plan: http://theatredepoche31.free.fr 21 novembre / 1er décembre 21 heures