La lettre et la presse

Poétique de l’ intime et culture médiatique au XIXe siècle, colloque international, Université de Laval (Québec, Canada)

20-22 Mai 2010

Appel à communication

Rapprocher l’antique culture de la lettre à la nouvelle civilisation du journal qui triomphe au XIXe siècle, tel sera l’enjeu de ce colloque. À première vue cette perspective pourrait paraître incongrue : qu’ont de commun la réalité moderne du journal, médiation écrasante par son ampleur, fondée sur la diffusion massive et accélérée du papier imprimé, et cette forme de communication artisanale qu’est le genre épistolaire, héritier de principes poétiques anciens et issu d’une civilisation à l’espace-temps radicalement différent ? Ce colloque sera l’occasion de montrer toute la pertinence scientifique qu’il y a à rapprocher ces deux objets ; un très grand profit peut être retiré d’une comparaison entre l’expression de l’intime et la médiatisation du collectif. Interroger ce qui lie la lettre à la presse, c’est en effet se donner les moyens de mieux comprendre les grandes évolutions médiatiques qui se déroulent au XIXe siècle et que l’histoire culturelle et l’histoire littéraire sont en train de revisiter depuis quelques années. Plusieurs orientations de la recherche sont donc susceptibles d’investir et de développer cette problématique, et c’est pourquoi le colloque s’ouvrira à plusieurs grands axes :

 

Les correspondances d’écrivains-journalistes. Indéniablement, un travail d’inventaire et d’analyse des correspondances des journalistes est à réaliser pour faire avancer l’histoire du journalisme au XIXe siècle. À ce titre des corpus d’écrivains consacrés peuvent être revisités pour mesurer la part de l’activité journalistique des grands écrivains du siècle (Sand, Balzac, Zola…). Il serait aussi souhaitable d’aborder des corpus moins connus, directeurs de journaux, critiques, chroniqueurs, reporters, lorsque cela est possible. Il s’agit par là de faire émerger une autre source sur l’histoire du journal et du journalisme, peu utilisée à ce jour mais pourtant potentiellement très riche en renseignements nouveaux sur la pratique du journalisme ; on pourrait ainsi mieux éclairer le travail des rédactions et des directions de journaux, les relations des journalistes entre eux, les réseaux politiques et idéologiques tels qu’ils sont arrimés au journal, etc. La routine épistolaire est susceptible de mieux éclairer la routine journalistique ; indéniablement un grand gisement d’informations sur l’histoire de la presse dort dans les corpus de correspondances.

 

Poétiques de l’intime et poétiques journalistiques. L’étude de la présence du modèle épistolaire dans la poétique du journal devrait permettre de mieux saisir ce qui est à l’œuvre au cœur du journal à partir des années 1830. Rapidement le journal va s’imposer à la fois comme lieu de la récupération des genres littéraires anciens et de leur adaptation-transformation. Le colloque permettra de comprendre les influences du modèle épistolaire sur des genres médiatiques en pleine évolution, comme la chronique (on pense évidemment au fameux « Courrier de Paris » de Delphine de Girardin) ou le premier-Paris (l’éditorial). En retour, on peut soupçonner que la poétique épistolaire, pourtant issue d’une longue tradition, a connu elle-même des transformations profondes engendrées par sa rencontre avec la culture médiatique ; il s’agirait dès lors de chercher à mesurer les nouvelles expressions de l’intime telles qu’elles se manifestent au cœur de la civilisation du texte imprimé.

 

Correspondances privées, espace public. Cet axe invite à réfléchir à la question de la publication dans la presse des correspondances privées de personnalités publiques (écrivains, artistes, hommes politiques, intellectuels, etc.) ou historiques. La lettre dans la presse participe au développement du vedettariat, processus inhérent à la culture médiatique. Une fascination entoure le dévoilement de la vie intime des personnalités connues et la lettre publiée participe de ce mouvement. Des questions de propriété intellectuelles surgissent également, dans un siècle médiatique qui n’a pas encore établi les règles déontologiques et éditoriales qui sont les nôtres : à qui appartient la lettre ? Que penser de la lettre « volée », publiée à l’insu de son auteur ? Quels enjeux légaux, poétiques, sociaux entourent ces phénomènes qui peuvent même donner lieu à des sagas judiciaires ?

 

La lettre, la presse et les genres. La lettre, genre traditionnellement féminin, entre dans la presse au cœur d’un système de communication essentiellement masculin. Le colloque voudrait inviter à se pencher sur les effets d’ironisation, de heurts ou encore de discordances qui résultent de cette rencontre inédite entre la représentation de l’intimité, de l’intériorité et des sentiments féminins (qu’on pense au modèle de la lettre d’amour) et celle de la sphère masculine (la politique, le social). À travers la publication de lettres, le journal au XIXe siècle s’impose aussi comme un immense réservoir de récits de vie ; on pourrait donc se pencher à cet égard sur la part dans ces récits de la publication de correspondances féminines. Enfin, une hypothèse à vérifier serait que les secteurs de la presse mondaine et féminine, ainsi que celui de la presse pour enfants, promis tous deux à un extraordinaire engouement, se seraient notamment développés à travers une rhétorique de l’interlocution héritée de l’échange épistolaire. Une manière de s’adresser à « Madame » ou aux « demoiselles » et de réguler l’échange des femmes entre elles se serait ainsi établie grâce au recyclage du modèle épistolaire.

 

Lettres et lecteurs. Le colloque sera aussi l’occasion d’explorer les relations du journal avec ses lecteurs. Si le « courrier des lecteurs » est une rubrique qui apparaît plus tardivement, la presse au XIXe siècle n’en publie pas moins de nombreuses lettres de lecteurs, ce que l’on appelle aujourd’hui des « lettres ouvertes », tandis que bien des journalistes, notamment les chroniqueur, commentent régulièrement dans leurs articles la relation épistolaire qu’ils entretiennent avec leurs lecteurs. C’est donc un imaginaire de la lettre comme médiation entre le journaliste et son public qui se déploie dans le journal. Paraître proche de son lecteur a très tôt dans la culture médiatique été un souci des nouveaux « communicateurs » que sont les journalistes, conscients de s’adresser à un public de plus en plus vaste ; indéniablement la référence à la lettre a permis une représentation personnalisée et plus « intime » de cette médiation.

 

Imaginaires et usages intimes de la presse. L’une des grandes difficultés – et aussi l’une des grandes absentes – de l’histoire du journal a depuis toujours été celle de sa réception. À travers l’analyse de corpus de lettres de lecteurs de journaux, c’est aussi une histoire des usages de la presse que le colloque invite à constituer. Il est évident également, quoique difficile à mesurer, que l’extraordinaire développement médiatique a engendré un imaginaire de la presse chez les lecteurs du XIXesiècle. Cet imaginaire, si on le connaît assez bien par les grands romans du journalisme (Illusions perdues de Balzac, Charles Demailly des frères Goncourt, Bel-Ami de Maupassant), sa compréhension et sa portée gagneraient à être affinée grâce à l’analyse de certaines correspondances. Que pense l’individu de la presse ? Comment imagine-t-il les effets sociaux du journal ? Comment se projette-t-il lui-même au sein de cet univers ?

 

 

 

Les communications seront de 30 minutes. Le colloque fera l’objet d’une publication. Veuillez noter que des demandes de subvention seront déposées mais que les participants doivent s’attendre à participer aux frais de leur voyage et de leur séjour à Québec.

 

Faire parvenir les propositions de communication (coordonnées du chercheur + résumé d’environ 250 mots) avant le 30 décembre 2009 par courriel à Guillaume Pinson : Guillaume.Pinson@lit.ulaval.ca, ou encore par la poste :

 

Guillaume Pinson
Département des littératures
Faculté des lettres, Université Laval
Pavillon Charles-De Koninck
Avenue des Sciences-humaines 
Québec, Qué. G1V OA6
Canada