Odette David, L’Autobiographie de convenance de Mme d’Épinay, Écrivain-philosophe des Lumières – Subversion idéologique et formelle de l’écriture de soi, Paris, L’Harmattan, 2007, 392 p.

Odette David, L’Autobiographie de convenance de Mme d’Épinay, Écrivain-philosophe des Lumières – Subversion idéologique et formelle de l’écriture de soi, Paris, L’Harmattan, 2007, 392 p.

C’est un livre très attendu que celui d’Odette David, fruit de la publication de sa thèse de doctorat soutenue sous la direction de Jacques Domenech (Nice, 2006). On lisait en effet jusqu’ici – ou bien on lisait peu, par fragments – mais toujours avec une pointe de soupçon, l’Histoire de Mme de Montbrillant, ce roman d’une vie qui fut la grande affaire de Mme d’Épinay, en dehors de sa collaboration très soutenue à la Correspondance Littéraire de Grimm, et de ses écrits sur l’éducation. Soupçon où nous avait laissés l’édition de Georges Roth (1951) d’un ouvrage seulement partiellement authentique, remanié par Diderot et Grimm à des fins apologétiques, pour défendre une réputation mise à mal par l’affaire Rousseau ; soupçon où nous laissa également l’édition, un brin partisane, d’Elisabeth Badinter (1989), qui soutenait la thèse inverse (mais avec de accents trop puissamment féministes). On en était donc réduit aux conjectures. Cette étude franche et honnête de l’état du manuscrit, opérée par une chercheuse d’abord archiviste et documentaliste, dûment formée aux méthodes scientifiques de déchiffrement et de classement d’un texte d’époque, permet d’établir ce dernier de manière indiscutable. 

Confié à Grimm – qui dut fuir la Révolution – puis dispersé à cette époque en trois lieux différents (Archives Nationales, Bibliothèque de l’Arsenal, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris), le manuscrit offre à l’examen moins de modifications et de réécritures que voulut bien le faire croire la légende (orchestrée d’abord par une fervente rousseauiste du début du XXe siècle, Frédérica Macdonald), et probablement infiniment moins que n’en avait l’habitude ce véritable atelier d’écriture que forma l’équipe Grimm-d’Épinay-Diderot autour de la Correspondance Littéraire. Le roman est restitué à sa vocation intimiste, soigneusement décrit dans ses alternances de lettres (c’est avant tout un roman épistolaire), de fragments de journal, qui viennent authentifier, compléter ou démarquer les lettres, enfin de narrés, textes censément ajoutés par le destinataire du journal et éditeur des lettres (en réalité le tuteur de l’héroïne, Emilie, elle-même masque transparent de Louise d’Épinay), afin de recoudre ensemble les fragments et éclairer des zones d’ombre.

Toutefois l’auteur de cette étude minutieuse, probablement par modestie, ne tire pas tout le parti utile de cette découverte décisive, notamment en matière de commentaire littéraire. Certes cette « autobiographie de convenance », volontairement publiée de façon posthume, et rédigée à l’aide de noms d’emprunt (une liste de concordance des pseudonymes a été retrouvée), est placée depuis l’origine sous la signe de la discrétion éditoriale et de la modestie féminine. Mais c’est surtout un fabuleux réservoir d’invention littéraire, proposant une forme de narration révolutionnaire bien dans la lignée des expérimentations diderotiennnes (La Religieuse), exploitant la forme du  désormais classique roman épistolaire dans toutes les directions possibles, tout en revendiquant d’une voix  élégante mais ferme le droit des femmes à penser, à décider et à disposer d’elles-mêmes. 

Odette David, de loin en loin, nous promet la divulgation d’« indices de vérité » et de « secrets de fabrication ». S’attachant surtout à l’examen des noms de personnes et de lieux, axant trop souvent sa réflexion sur le thème du « roman d’éducation » et de la « réalisation de soi », elle décrit avant tout une destinée dans la tradition féministe d’E. Badinter.  En ce sens, elle ne fait  qu’effleurer (mais peut-être la tâche d’une seule personne n’y suffisait pas), les moyens extrêmement subtils par lesquels cette machine de guerre, loin de s’en prendre essentiellement à Rousseau (à peine un cinquième du roman se consacre aux brèves années de cohabitation à l’Ermitage), et stimulée au contraire par l’exemple de La Nouvelle Héloïse, vise surtout la création littéraire du temps et son déficit d’inventivité en matière de narration, proposant des solutions plus réalistes, à la fois pittoresques, satiriques et sentimentales, et préfigurant les grandes fresques balzaciennes.

O. R.-P.